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Tancrede:
Tancrède, prenant Clorinde pour un homme,
veut se mesurer avec elle dans l'épreuve des armes.
Cheminant vers le sommet de la montagne,
elle se dirige vers un autre passage où elle se dispose à pénétrer.
Il la poursuit si impétueusement
que, bien avant qu'il ne l'atteigne, elle entend résonner son armure
et, se retournant, lui lance:
Clorinde:
Toi, qui mets tant d'ardeur à me poursuivre,
que veux-tu?
Testo:
Il répond:
Tancrede:
La guerre et la mort.
Clorinde:
La guerre et la mort,
Testo:
dit-elle,
Clorinde:
je ne refuse pas de te les donner, puisque tu les
cherches.
Testo:
Et Tancrède, voyant son ennemi à pied,
ne veut pas conserver l'avantage d'un cheval.
Il saute à terre.
Et ils s'emparent l'un et l'autre de leur épée.
Aiguisant leur orgueil, allumant leur
courroux;
et ils vont lentement à la rencontre l'un de l'autre,
comme deux taureaux jaloux enflammés de fureur.
Nuit, dont les profondes ténèbres ont
enseveli sous l'oubli un acte si illustre
(dignes pourtant de la clarté du soleil,
dignes d'un vaste théâtre, seraient des exploits si mémorables),
Souffre qu'on les tire de l'ombre pour les raconter
et que la lumière soit faite pour les générations futures.
Que vive leur renommée et que le noble
souvenir de leurs actes glorieux resplendisse à jamais.
Ni esquiver, ni parer, ni non plus reculer,
chacun frappe sans prudence!
Les coups qu'ils échangent ne sont pas feints.
L'obscurité et leur fureur excluent toute habileté.
Entendez des épées le terrible ferraillement
des lames, mais ils ne lâchent pas de terrain;
le pied demeure ferme et la main toujours en mouvement;
nul coup n'est frappé en vain, nulle pointe donnée pour rien.
La honte excite le dédain à la vengeance
et de nouveau la vengeance ranime la honte:
sans cesse ils blessent, sans cesse ils se relancent,
enflammés par de nouveaux motifs.
Avec le temps la lutte se resserre de plus en plus
et l'épée n'est plus de mise.
Ils se frappent de leurs pommeaux, déchaînés, féroces.
Se heurtent de leurs heaumes et de leurs boucliers.
Par trois fois le chevalier de ses bras puissants
enserre la guerrière, et par trois fois
elle se dégage de cette tenace étreinte,
étreinte d'un fier ennemi et non pas d'un amant.
Ils s'en retournent à leurs épées et se couvrent
de sang. Puis, épuisés et haletants,
finalement, s'éloignent
pour se reposer après la longue et rude épreuve
L'un l'autre se regardent, appuyant leurs corps ensanglantés
de tout leur poids au pommeau de l'épée.
Déjà de la dernière étoile languit le rayon
et l'Aurore peint l'orient de ses premiers feux.
Tancrède, voyant son ennemi répandre autant de sang,
ne se voit pas lui même tellement blessé.
Il se gonfle d'orgueil. O que notre esprit
est insensé de glorifier ainsi toute ombre de fortune!
Malheureux, de quoi te réjouis-tu? Quels tristes exploits!
Quelle funeste victoire!
Tes yeux payeront (si tu restes en vie)
chaque goutte de ce sang d'une mer de larmes.
Se taisant, se regardant, ces deux guerriers baignés de sang
interrompirent quelque temps leur lutte.
Enfin Tancrède rompit le silence et dit,
afin que chacun découvrît le nom de l'autre:
Tancrede:
Grande est notre infortune que de faire preuve ici
de tant de vaillance, alors que le silence doit la recouvrir.
Mais puisqu'un sort adverse nous refuse
les louanges et les témoins dont cet exploit serait digne,
je te prie (si dans le combat, il y a place à la prière)
de me révéler ton nom et ta naissance
afin que je sache, vaincu ou vainqueur,
à qui devrai-je l'honneur de ma mort ou de ma victoire.
Testo:
La cruelle répond:
Clorinde:
C'est en vain que tu t'enquiers
De ce que je saurais dire à un ennemi.
Mais qui que je sois, tu vois devant toi
l'un de ceux qui incendièrent la grande tour.
Testo:
A ces paroles, Tancrède s'enflamme.
Tancrède:
Ceci mérite châtiment.
Et tes paroles et ton silence m'excitent pareillement,
barbare grossier, à la vengeance.
Testo:
L'ire retourne dans leurs cœurs et les pousse,
bien qu'affaiblis, au combat. Ah! la fière lutte
dans laquelle l'art du combat languit et déjà la force s'épuise
et où, à leur place, règne la fureur!
Sanglants, couverts de blessures,
l'épée de l'un transperçant de toutes parts la chair de l'autre!
Et si la vie ne s'évanouit pas,
c'est que le courroux dans leur cœur la tient unie.
Mais voilà qu'est arrivée l'heure fatale
où la vie de Clorinde doit parvenir à son terme.
De son épée, il perce le beau sein;
le fer s'y enfonce et se rougit du sang qui ruisselle;
et la robe brodée d'or,
qui couvre tendrement sa gorge délicate,
s'inonde de sang. Déjà, elle sent venir
la mort prochaine, son pied faiblit, elle chancelle.
Poursuivant sa victoire, il menace et presse
cette vierge blessée.
En s'affaissant, elle prononce d'une voix
mourante ses dernières paroles;
paroles dictées par un esprit nouveau.
Esprit de foi, d'espérance et de charité.
La grâce de Dieu l'inonde, et si elle Lui fut rebelle
dans la vie, dans la mort elle est sa servante.
Clorinde:
Ami, tu as vaincu: je te pardonne...
Pardonne
toi aussi, non au corps qui ne redoute plus rien,
mais à l'âme: de grâce, prie pour elle et donne-moi
le baptême afin que soient effacés tous mes péchés.
Testo:
Dans cette voix languissante résonne
un accent si triste et si doux
que son cœur s'attendrit, son courroux retombe
et que, malgré lui, ses yeux se remplissent de larmes.
Non loin de là, du sein d'une montagne, jaillissait
en murmurant un petit ruisseau.
Il y court, remplit son heaume à la source,
et revient tristement s'acquitter de son pieux office.
Il sent sa main trembler tandis qu'il dégage et
met à nu le front encore inconnu.
Il le voit, la reconnaît, reste sans voix,
sans mouvement. O fatale vue! O funeste reconnaissance!
Il ne meurt pas encore, faisant appel
à toutes les forces de son cœur.
Et malgré la violence de sa douleur, il donne par l'eau
la vie à celle qu'il a fait mourir par son glaive.
Entendant les paroles sacrées qu'il prononce,
elle sourit, transfigurée de joie,
et, en mourant, semble dire, heureuse et sereine:
Clorinde:
Le Ciel s'ouvre: je m'en vais en paix.
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